Les ateliers d'écriture avec Victoria Horton
Victoria Horton assiste aux répétitions et prend des notes sur ce qui s’effectue au plateau et en dehors depuis septembre 2013.
Deux ou trois mois passent et un après-midi, elle ramasse au sol trois boules de papier: des phrases griffonnées par un acteur des Volontiers, Stéphane Juglet. Elle met les textes au propre, les lui rend. On ne peut en rester là ; ils élaborent ensemble le projet de se voir en dehors de l’atelier théâtre pour écrire.
En mai 2016, paraît aux Editions Les Contrebandiers un livre intitulé Les Volontiers qui raconte le travail théâtral, les répétitions, les spectacles. Les vingt dernières pages sont rédigées, avec le soutien de Victoria, par Stéphane Juglet : il nous livre ici un récit sensible et émouvant de son histoire, sa maladie, son rapport au soin et à la psychiatrie.
La parution du livre, sa présentation à la librairie l’Herbe entre les dalles, en présence de l’ensemble de la troupe, stimulent et réveillent des envies d’écriture chez d’autres membres de la troupe. Des rendez-vous s’organisent alors avec Clément Villa, avec le foyer de la Maisonneraie (Jocelyne Lediguerher et Pascal Vovard auxquels se joindront Laurent Lemaître et Lindsay Papin), enfin avec Lynda Buain.
L’approche est différente pour chacun. Exemples. Stéphane lance « C'était comme si l'herbe était magique », Victoria lui propose d’écrire « L’herbe est magique », de déplacer une strophe, on relit ensemble, on continue comme ça quelques heures jusqu’à ce qu’on ait les larmes aux yeux et quand on a les larmes aux yeux Stéphane dit : C'est bon. On n'y touche plus.
Clément, lui, dictera sans sourciller plusieurs pages d’un coup, Lynda, qui sait lire et écrire, prépare ses textes au Foyer puis les retouche humblement, trop humblement parfois, avec Victoria. Tu crois qu’on peut écrire ça ? Oui, on peut.
Les cinq de la Maisonneraie ont plus de mal à écrire ou même à parler et les ateliers tournent au dessin et au coloriage, avec de temps à autre l’éclat sourd d’un petit texte.
Les rendez-vous ont lieu dans les foyers ou bien chez Victoria, parfois au téléphone. Elle archive les écrits et tâche pour chaque auteur d’élaborer un projet. C’est ainsi que Clément a pu auto-éditer son livre, Une vie nouvelle, Lynda Tournant de ma vie, un récit autobiographique, que les poèmes de Stéphane sont régulièrement accueillis sur le blog du poète Thierry Gaudin.
Elle confie les textes à Frode et Claudie, qui en intègrent quelques-uns au spectacle en cours.
Quelques poèmes écrits par Stéphane Juglet et Clément Villa sont intégrés dans une des revues Les Nouveaux Cahiers pour la folie.
Les Nouveaux Cahiers pour la folie sont nés d’un pari sur l’utopie. Dans une période où tout concourt à faire taire les « voix » de la folie, jusque dans les milieux psychiatriques, cette revue se propose de recevoir des propositions émanant de diverses personnes impliquées dans les différents bords de la folie.
Quelques poèmes...
De Stéphane Juglet
(sans titre)
Libre comme l’air qui bat dans mes poumons
dans mes poumons ça fait boum boum boum
ça respire vite
j’ai posé la main sur mes poumons
mes poumons qui battent
dans mes poumons un cri
le vent respire à l’intérieur de moi
il fait voler des feuilles des branches
ça bout
ça jaillit de plaisir
ça fait boum boum boum
je viens au monde
Le peintre et son paysage
le peintre crée un paysage
à travers la fenêtre
la fenêtre est ouverte
la lumière éblouit le paysage
le peintre regarde son paysage
il voit un arbre
quelle surprise
il peint les branches
il s’applique
il peint les feuilles
il fouille dans ses couleurs
il lui faut du jaune
du rouge et du vert
le peintre appartient au paysage
le paysage invite le peintre
il l’emporte avec lui
il l’avale
le peintre roule dans les feuilles
il se perd dans les feuilles
La braise du vent
La braise est bleue comme la mer
Le vent est grisé
La mer est brisée
La mer éclabousse
Le cercle est cerclé.
(Sans titre)
Une voix chante en moi
Au plus secret de moi
Ses mots sont des notes
Silencieuses
Mémoire émue
De mon histoire muette.
Lucifer
J’ai failli tomber du toit
Et le monde m’est tombé sur la tête.
On m’a rattrapé
On m’a jeté dans ma chambre
J’avais seize ans et
Lucifer m’a piqué six fois.
Les mots se partagent
L’histoire de ma vie.
Les mots noirs disent
Ma détresse
Quand Lucifer m’a traîné
À l’hôpital psychiatrique
M’a attaché et m’a drogué
M’a volé ma parole
Et m’a volé ma vie.
Il m’a enfermé
Je tapais à la vitre
Je n’avais plus que mes larmes
Et pas d’avocat.
De Clément Villa
Les meilleurs souvenirs
de Quai Ledru-Rollin jusqu’à Sillé-le-Guillaume, Le Gravier
Avec des amis, mes parents et leurs enfants, tous les trois, Martin, Benjamin et moi on n’était pas en manque de bêtises.
Au départ on déplaçait les pierres du ruisseau chez les voisins. Deuxième bêtise, c’était crapahuter vers le grenier qui n’avait pas d’escalier. Pour couronner le tout, la troisième c’était descendre sur du béton avec une luge en plastique en plein été.
On en a fait des vertes et des pas mûres, surtout des pas mûres, les trois forts en bêtises. Ils ne disaient rien à leurs parents, Anne et Frédéric *Sorus*.
Douceur de bruyère
Douceur de bruyère
De cette douceur que je sens
De cette noirceur que je ressens
De mon sentiment
Le propre de m’aimant
J’aimerais sentir autrement
Que l’amour impossible
Ne dure pas
Je pourrais faire
Si seulement tu pouvais me donner de toi-même
Et j’aimerais enlever tous ces murs
Et toutes ces tiges de toi
Et de ta noirceur.
Doux tourbillon de voltige
Tourbillon de voltige
Je sens ton maquillage
Ton jupon frémisse
Sur moi le toréador machistador Aurélior
Nous voltigeons ensemble
Les deux cavaliers et toi la cavalière
Nous voltigeons tous les deux sur nos chevaux
Nous voltigeons la piste
Avec la robe que j’enlève
En doux parfum de tes cheveux lisses.
(sans titre)
Je suis un aigle libre et pas chassé
Et de nid en nid on m’a volé
Tout en coupant mes arbres
Me voilà asphyxié foudroyé dans ce moule
Depuis quelque temps je suis dans la Lune
Connaissant une femme
Qui est prisonnière de la Lune
Et moi de mon moule
Je suis quasiment saltimbanque
Je veux rester aigle et libre et penser comme
Et voler encore plus loin dans tout ciel
Confinement et déconfinement, l’eau de la source, de l’espoir et du bien-être
Confiné je suis. J’en ai tellement assez d’écouter les autres, je ne veux plus de bienveillance et qu’on me mette du plomb dans la tête, car j’en ai plein les oreilles de les entendre. Je voudrais franchir les murs de l’interdit. Je me demande comment on peut rester cloîtré, je veux me décloîtrer. Comme un oiseau sans ailes qui vit de comment on se décrucifie.
C’est trop long d’attendre le champ de la remontrance et il me manque une épaule réconfortante bien dans ce lit froid, bien trop froid. Il me manquerait quelqu’un, je me sens seul malgré tous ceux qui m’entourent et qui ne me servent pas d’affection comme ma chère et tendre.
C’était tellement trop dur en ces temps-ci, ne comptez pas sur moi pour me confier à vous-même si personne n’y peut rien. J’ai du chagrin et je suis inconsolable pour l’instant. Il me faudrait des paires de bras dans les draps.
Je voudrais le chant de l’espoir, la chansonnette de l’amour, que tout cela s’en aille en moi. Je veux boire la source du courage et du déconfinage que j’aurais gagné en bien.
De Frédéric Blottière
Je sais pas
J’ai perdu ma langue
Je sais pas trop
Un peu
J’ai un petit peu de mal
Quand je vois les gens
Je suis pas habitué
J’ai un peu peur
Je sais pas
J’ai perdu ma langue
Je sais pas trop
Un peu
J’ai un petit peu de mal
Quand je vois les gens
Je suis pas habitué
J’ai un peu peur
Je cherche une amoureuse
Un petit peu partout
Dans le tramway
Je le prends que la semaine
Quand je regarde les filles
Y en a des belles.
Ecriture à trois : Pascal Vovard, Jocelyne Lediguerher et Laurent Lemaître
Je me souviens des poupées
Je jouais à la poupée
Je coiffais les poupées
Avec une brosse
Les poupées c’est utile
J’étais chez mes parents
Je prenais le train tout seul
Je me souviens du train
Je me souviens de la pêche
Dormir là-bas
Bien dormir dans un gîte
Dans une chambre bleue
Je me souviens des carpes
Cinq carpes
Trois brochets
Des carpes de neuf kilos
Des carpes de six kilos
Des carpes de huit kilos
On a joué aux boules
Prendre le cochonnet
Le lancer
Je me souviens de la musique
Des chansons
Du micro
Chanter au karaoké
Je me souviens du silence
Parution du livre de Lynda Buain
Actrice des volontiers
Tournant de ma vie
Il s'agit d'un récit autobiographique généreux et sincère. Il a été écrit avec l'aide de Victoria Horton, commencé en septembre 2017, et imprimé en mars 2020.
Voici ce que Lynda a à dire de tout ça : « Ça m’a donné beaucoup de travail et de concentration pour mettre un terme à ce livre. Je suis très contente. ça me fait plaisir de partager avec les autres ma vie et mon histoire. Ça peut m’apporter de bonnes choses car les gens qui liront ce livre penseront aussi à ce qu’ils ont vécu eux-mêmes. ça m’enlève le poids de ma maladie. Ça m’encourage, je me sens apaisée, libre de moi-même dans ma tête au présent. »